Les algues brunes marines (communément connues sous le nom de varech géant) constituent un réservoir particulièrement intéressant pour l’industrie du biocarburant. N’entrant pas en compétition avec les autres cultures, notamment celles destinées à l’alimentation, en termes de surface de terrain et d’irrigation (et pouvant même absorber les excédents de nutriments rejetés dans l’océan), elles présentent en outre un rendement potentiel en éthanol évalué à deux fois celui de la canne à sucre et cinq fois celui du maïs pour une même surface de culture. Ainsi, les scientifiques du BAL estiment qu’un hectare de ces algues brunes pourrait produire entre 15 000 et 20 000 litres de bioéthanol par an, confirmant ainsi une analyse effectuée par le département américain de l’Energie qui évaluait ce chiffre à 19 000 litres par hectare par an. L’entreprise américaine précise d’ailleurs que selon ses études moins de 3% des eaux marines côtières devraient pouvoir produire la quantité d’algues nécessaire pour remplacer plus de 226,8 milliards de litres de carburant fossile consommés actuellement.
Le principal défi qui se présentait jusqu’à aujourd’hui à l’exploitation d’une telle manne énergétique était la difficile métabolisation des glucides spécifiques des algues marines, principalement les alginates. « Environ 60 % de la biomasse sèche des algues est constituée de carbohydrates fermentables, et approximativement la moitié de ces derniers sont composés d’un seul carbohydrate, l’alginate », explique ainsi Daniel Trunfio, responsable de la société BAL. La solution actuelle consiste à « aider » les bactéries en leur fournissant des enzymes afin de leur permettre de « digérer » la matière organique. Or, l’ajout de ces enzymes constitue un coût important dans le prix final des biocarburants et contribue donc à la mauvaise compétitivité de ces derniers face aux énergies fossiles. La réussite de l’équipe californienne tient donc dans le fait qu’elle a su concevoir cette souche modifiée de la bactérie E. coli, lui donnant la capacité naturelle de sécréter les enzymes nécessaires à la métabolisation du glucose et du mannitol – les deux autres principaux sucres présents dans les algues brunes – ainsi que Vibrio splendidus, un micro-organisme capable pour sa part de métaboliser les alginates.
Armés de ce nouveau cocktail de micro-organismes, les chercheurs du BAL peuvent maintenant étudier la faisabilité d’une production de biocarburants à base d’algues à l’échelle industrielle, avec notamment un projet de construction d’une usine pilote expérimentale au Chili qui devrait s’achever en juillet 2013. Ils auront en tout cas permis de faire un pas de plus en avant dans la valorisation énergétique de plantes alternatives, venant ainsi s’associer aux travaux réalisés par les chercheurs du « Joint BioEnergy Institute » (JBEI) qui avaient déjà proposé, le 2 novembre dernier, une nouvelle souche d’E. Coli, nommée E. Coli MG1655, capable de métaboliser le sucre contenu dans une plante vivace rhizomateuse, très rustique, le panic (« switchgrass » en anglais). Une preuve de plus, donc, que dans la bataille pour l’énergie du futur la solution peut venir d’un endroit que l’on n’aurait pas soupçonné.
Xavier Giroult
Crédit photo : © Buzz Hoffman