La COP28 a acté la fin de l’ère des combustibles fossiles. Si les gouvernements du monde entier doivent prendre leur part, ils sont et seront nécessairement limités par la hausse des taux et une dette énorme : selon le FMI, l’endettement public mondial a atteint 92 % du PIB en 2022 (soit 91 000 milliards de dollars). Un problème insoluble sans l’appui du secteur privé, dont la contribution financière à l’effort global de transition écologique devrait être essentielle.
« Bien que nous n’ayons pas tourné la page de l’ère des combustibles fossiles à Dubaï, ce résultat marque le début de la fin », a déclaré Simon Stiell, secrétaire exécutif d’ONU Climat, au sortir de la COP28, qui a décidé de l’élimination progressive des hydrocarbures. « Maintenant, tous les gouvernements et les entreprises doivent transformer ces engagements en résultats économiques réels, sans tarder ». Autrement dit : le compte n’y est pas (encore), et les secteurs publics et privés doivent redoubler d’efforts pour financer la transition énergétique.
7 milliards d’euros publics pour la transition énergétique : un bon début, mais…
En France, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités publiques, toutes les administrations doivent œuvrer pour traduire dans les faits la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : neutralité carbone en 2050 et réduction des émissions de 55 % en 2030 par rapport à 1990. Bruno Le Maire a ainsi déclaré que 7 milliards d’euros seront débloqués par l’État en 2024 pour le financement de la transition écologique. Un montant record, qui devrait être obtenu grâce à des économies réalisées par chaque ministère.
Du côté des collectivités territoriales, les associations représentatives ont remis, en octobre dernier, un important rapport à l’ancienne ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, sur leur scénario « Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) des territoires ». Un document qui énumère les nombreuses actions qu’elles ont enclenchées et vont continuer à intensifier, comme la suppression des aides aux énergies fossiles et la généralisation des réseaux de chaleur renouvelables.
En outre, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), une association créée par la Caisse des dépôts, vient en aide aux collectivités pour quantifier leurs besoins de financement en matière d’adaptation au changement climatique et leur proposer des solutions : rénovation énergétique du bâti, développement des transports en commun décarbonés… « Nous nous associons aux collectivités via les têtes de réseaux, les principales associations d’élus et les réseaux spécialisés », décrit François Thomazeau, chef de projet senior « territoires » au sein d’I4CE. Néanmoins, pour lui, les budgets dégagés par l’État et les personnes publiques ne sont, pour l’heure, pas à la hauteur du défi. « Quel que soit le scénario retenu par la SNBC, les collectivités doivent doubler leurs investissements pour le climat ».
Un constat aussi partagé par l’économiste Jean Pisani-Ferry, auteur d’un rapport sur le sujet. « La décarbonation de l’économie demande de mobiliser entre 65 et 70 milliards d’euros par an, dont à peu près la moitié d’investissement public », insiste-t-il.
En réalité, si les États et les personnes publiques doivent faire plus et débloquer davantage de fonds, elles devront de toute façon compter sur l’appui fondamental du secteur privé pour décarboner l’économie. Selon Ruud de Mooij, chef adjoint du département des affaires budgétaires du FMI, les endettements élevés des États et les taux d’intérêt en hausse vont d’ailleurs rendre « encore plus difficile » le financement de la transition énergétique par le secteur public. Autrement dit, comme l’expliquent plusieurs économistes de l’institution internationale, « le secteur privé devra fournir environ 80 % des investissements nécessaires » en la matière — soit le double de ce qui est pratiqué actuellement.
Les banques, acteurs majeurs de la transition énergétique ?
Alors que le monde et la France ont urgemment besoin de fonds pour amorcer la réduction de nos émissions carbone, les banques sont-elles prêtes à se mettre au diapason ? Les sommes déclarées par nos champions français sont loin d’être dérisoires : 28 milliards d’euros débloqués par BNP Paribas, objectif de 300 milliards d’euros investis d’ici à 2025 affichés par la Société Générale… Du côté de Crédit Agricole, on a récemment annoncé l’ouverture d’une nouvelle filiale entièrement dédiée au financement de la transition énergétique.
Des paroles qui sont, heureusement, souvent suivies par les actes. Un consortium bancaire européen, dont font partie la SG, BNP Paribas et Natixis, a ainsi contribué au financement de la giga-factory de batteries électriques Northvolt, implantée en Suède, qui a levé un total de pas moins de 5 milliards d’euros. Un investissement qui constitue une « étape importante pour la transition énergétique européenne », affirme Peter Carlsson, co-fondateur et PDG de Northvolt, tant les batteries électriques seront fondamentales pour réduire l’utilisation des énergies fossiles.
Des bonnes intentions qui peinent à cacher une frilosité tout de même bien présente du côté de ces acteurs bancaires. Selon le cabinet BloombergNEF, le ratio financement des énergies bas carbone/financement des énergies fossiles reste faible à l’échelle du globe. Ainsi, 708 milliards de dollars d’investissement bancaire sont allés à des projets bas carbone en 2022, contre 967 milliards pour les énergies fossiles…
Un contraste important qui pourrait s’expliquer par la frilosité des banques, depuis la crise des subprimes de 2008, à financer des ETI — PME innovantes, y compris dans des secteurs clés comme la transition énergétique… Une considération d’autant plus vraie aujourd’hui, à l’heure de la hausse des taux d’intérêt et d’un contexte politique et macroéconomique incertain : selon le Syndicat des Indépendants, seuls 52 % des PME ayant sollicité un crédit bancaire lors des 12 derniers mois l’ont obtenu en juin 2023 (contre 63 % l’an passé). Une situation qui pousse de plus en plus d’entrepreneurs et de jeunes pousses à se tourner vers des solutions de financement alternatives.
À industries innovantes, financements innovants ?
Financement participatif, affacturage, dons avec ou sans récompense, « minibonds », PACEO/OCABSA ou encore investissement en capital… Les solutions de financement alternatif ont explosé ces dernières années, et elles s’adaptent d’ailleurs bien aux nouveaux défis posés par la transition écologique. « Nous sommes une solution parmi d’autres pour répondre à ces besoins quand les banques restreignent l’accès aux prêts, qui plus est au moment où les besoins de financement dans la transition énergétique n’ont jamais été aussi importants », fait remarquer Julien Hostache, président d’Enerfip, une des plateformes pionnières de crowdfunding de projets durables. « Le financement participatif est devenu ces dernières années une source de financement compétitive pour les opérateurs d’énergies renouvelables », confirme Laure Verhaeghe, co-fondatrice et présidente de Lendosphere, qui est aussi une plateforme de crowdfunding spécialisée dans les projets verts. Celle-ci a ainsi contribué au financement du groupe Voltaïca, qui a pour ambition de mettre sur pied 15 centrales photovoltaïques dans 12 départements français, pour une puissance totale de 4 011 kWc.
Si le crowdfunding est bien adapté aux jeunes entreprises et aux startups, certaines structures cotées déjà bien installées ont parfois besoin de sommes plus importantes pour conduire à maturité leurs business plans, malgré les réticences bancaires.
C’est le cas de l’entreprise DBT, spécialisée dans les bornes de recharge pour véhicules électriques. Cette PME s’est financée à hauteur de 50 millions d’euros en partenariat avec le family office Alpha Blue Ocean via les obligations convertibles en actions avec bons de souscription d’actions (OCABSA). Produit financier destiné aux entreprises cotées, parfois décrié en raison du risque de dilution qui y est associé, il permet à une entreprise de se financer sans s’endetter, et d’être accompagné sur le long terme pour amener à maturité des projets, ce qui est un critère central pour des entreprises ayant pour vocation l’innovation. Pour DBT, les OCABSA ont justement permis d’apporter les fonds nécessaires au lancement d’une toute nouvelle gamme de bornes de recharge ultrarapide pour véhicules électriques, boostant par là même son carnet de commandes. « Je peux dire que ce partenariat financier nous a sauvés. Et c’est grâce à ce financement que nous pouvons afficher aujourd’hui de grandes ambitions », témoigne Alexandre Borgoltz.
Cet exemple n’est pas isolé : l’énergéticien Neoen, spécialiste des renouvelables, s’est financé, fin 2022, via des « obligations convertibles vertes » pour une valeur totale de 300 millions d’euros, directement affectés à des projets de production et de stockage d’énergie éolienne et solaire — comme la construction de trois nouvelles centrales solaires en Italie.
Enfin, on a vu apparaître des alternatives aux banques classiques, ces « néo-banques », comme Green-Got, qui veut flécher l’argent des épargnants vers des produits verts. « Début 2023, nous [avons sorti] nos premiers produits financiers “zéro émission”, dans les transports bas carbone, l’agriculture durable et les énergies renouvelables », détaille Maud Caillaux, co-fondatrice de Green-Got. Toute jeune, la néo-banque n’est pas encore habilitée à délivrer des prêts aux entreprises, mais elle compte faire la demande de l’agrément auprès de la Banque de France prochainement. Une option intéressante de plus dans le secteur de la finance alternative, qui peut procurer une bouffée d’argent frais à de nombreux projets-clés de la transition écologique, mais demeure encore trop peu connue dans le monde entrepreneurial.