Comment les autoroutes peuvent-elles devenir un outil de financement de la transition écologique ?

Comment les autoroutes peuvent-elles devenir un outil de financement de la transition écologique ?

12 septembre 2022 0 Par La Rédac

La route du futur se prépare dès aujourd’hui, et elle sera décarbonée. Nouveaux systèmes de recharge électrique, production d’énergie solaire, plateformes multimodales… La transition écologique de la mobilité routière exige des adaptations conséquentes des infrastructures, et donc des investissements massifs. Afin de ne pas grever les finances publiques, le système des concessions, qui a fait ses preuves, peut être une solution pour financer la décarbonation des autoroutes.

Après le chemin, la route pavée romaine, la route revêtue et l’autoroute, voici venue la route de 5e génération (R5G). Depuis 2014, l’université Gustave-Eiffel (ex-Ifsttar), planche sur le sujet. Ce projet de recherche – sur une quinzaine d’années – vise à créer un processus d’innovation pour répondre au triple défi de la transition énergétique, numérique et écologique. « La dimension évolutive, coopérative et à contribution environnementale positive participe des ingrédients de la route de demain », résume Nicolas Hautière, chercheur et responsable du projet R5G.

Le maître mot ? Décarbonation ! Et le plus gros potentiel de réduction de l’empreinte carbone de la route réside dans ses usages. « Ces enjeux nécessitent de repenser le transport routier, qui assure dans les pays développés plus de 80 % des flux de passagers et de marchandises, tout en consommant 60 % de l’énergie fossile produite sur Terre et en étant responsable de 25 % des émissions de gaz à effet de serre », souligne Nicolas Hautière.

Aujourd’hui, l’électrification des véhicules s’impose comme la principale solution technologique pour décarboner les transports routiers, ce qui impose de déployer un système de recharge électrique rapide, efficace et bien maillé sur tout le territoire, afin d’assurer une mobilité électrique longue distance. Pour répondre à ce premier enjeu, les besoins en investissements – publics et privés – sont colossaux. L’Institut Rousseau les chiffre à 51 milliards d’euros par an jusqu’en 2050, soit 7,5 milliards d’euros par an de plus que ce qui est prévu. Les investissements dans les bornes électriques, en particulier, vont devoir tripler, pour atteindre 1,9 milliard d’euros par an (contre 570 M€ en 2021).

Le groupe de services Spie et un fonds commun à plusieurs sociétés d’autoroutes viennent d’ailleurs d’annoncer le lancement, fin 2022, de leur propre réseau de stations de recharge ultra-rapide. Baptisé e-Vadea, ce réseau disposera de 13 premières stations sur les réseaux APRR et Vinci, chacune comportant jusqu’à 12 points de charge, de puissances de 150 à 300 kW. Un déploiement financé par le Fonds de modernisation écologique des transports (FMET) et abondé par les concessionnaires d’autoroutes Vinci, APRR et le groupe Abertis (actionnaire de Sanef).

Bientôt des « routes électriques » …

La question de l’autonomie des véhicules électriques est en effet critique, en particulier pour les poids lourds, qui représentent près de 30 % des émissions du transport routier. Les batteries atteignent en effet rapidement leurs limites pour assurer une autonomie de plusieurs centaines de kilomètres à des véhicules de quelques dizaines de tonnes. Pour décarboner le transport routier de marchandises, il faudra construire des voies spécifiques de recharge dynamique pour les poids lourds : des voies qui fournissent de l’énergie et rechargent les véhicules lorsqu’ils roulent ; par induction, rail ou caténaire.

Les travaux français dans ce domaine, menés avec une soixantaine d’experts sous l’égide du ministère des Transports, préconisent un déploiement massif de ces systèmes de « routes électriques » dès 2030. Un rapport publié en juillet 2021 par la Direction générale des infrastructures recommande ainsi d’équiper 5.000 km de routes d’ici à 2030 et 9.000 à l’horizon 2035. L’enjeu est majeur car ce déploiement permettrait de réduire les émissions de CO2 du transport routier longue distance de 87 % par rapport au parc diesel actuel. Plusieurs expérimentations sont en cours en France, en Allemagne, en Suède et en Italie.

Les coûts d’investissement de ces solutions ERS (Electric Road System) se situent entre 2 et 5 M€ / km et pour la France il est admis que 3.000 à 4.000 km d’autoroutes seraient éligibles à l’ERS, soit un investissement de 10 à 15 milliards d’euros. Avec une durée d’amortissement de vingt à trente ans et un système de concession, cela ne semble pas hors de portée.

… Et des routes à énergie positive

L’investissement inclut aussi une dimension énergétique majeure, puisqu’il faudra alimenter en électricité les stations de recharge des aires de services. Dans un rapport, RTE et Enedis estiment que, dans une dizaine d’années, pour répondre aux pics de demande de recharge des véhicules électriques, il faudra entre 4 et 12 MW par aire de service. Ce qui représente entre 20 et 60 points de charge de 200 kW par aire en moyenne, les plus grandes aires allant jusqu’à 200 bornes et 40 MW – l’équivalent de l’alimentation électrique de l’aéroport d’Orly ! Ce qui exige d’énormes investissements qui doivent être anticipés dès maintenant.

D’où aussi l’idée d’utiliser la route, qui reçoit les rayons solaires, comme un outil de production d’énergie renouvelable. La puissance moyenne reçue par le réseau routier français (environ 6.000 km²) serait de l’ordre de 2,25 GW, soit 3,5 % de la puissance électrique installée en France ou un peu plus de la moitié de celle consommée par le transport routier. Même si la part réellement récupérable de cette énergie est probablement faible, elle pourrait néanmoins contribuer à la décarbonation du secteur routier.

Les sociétés autoroutières songent ainsi à installer des fermes photovoltaïques qui produiront localement une partie de l’électricité nécessaire à la recharge des véhicules. « Le photovoltaïque constitue la piste essentielle pour faire de l’autoroute un écosystème électrique », estime Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, directeur de l’équipe Energie Climat. « Dans un premier temps, l’idée est d’utiliser les délaissés autoroutiers, par exemple un rond-point situé à proximité d’un péage. On réfléchit aussi à la possibilité de recouvrir la partie roulante de l’autoroute, à quelques mètres de hauteur, par des surfaces photovoltaïques. Avec, en ligne de mire, la possibilité, à l’horizon 2030-2035, de produire assez d’électricité pour alimenter les véhicules électriques ». Là encore, les investissements à réaliser sont importants.

Nouveaux usages et plateformes multimodales

La décarbonation des usages de la route passe aussi par le développement de nouveaux usages comme l’autopartage, le covoiturage et des bus propres à haut niveau de service avec voie dédiée. « L’un des objectifs essentiels de la décarbonation des autoroutes est de réduire ce qu’on appelle l’autosolisme, souligne Patrice Geoffron. Et pour cela, les plateformes multimodales sont essentielles. Il s’agit de plateformes qui jouxtent directement l’autoroute et où il est possible de changer de mode de transport, par exemple de partager un véhicule en covoiturage ». Une étude menée par Vinci Autoroutes a en effet montré que plus de huit conducteurs sur dix sont seuls au volant le matin, entre 8 et 10 heures, dans les principales agglomérations françaises. Or, selon le gouvernement, à l’échelle d’une agglomération, le covoiturage permettrait de réduire les émissions de CO2 de 30 %.

Des lignes de bus à haut niveau de service peuvent aussi être développées pour des liaisons banlieue-centre ou périphériques, en utilisant des voies réservées, comme l’ont réalisé avec succès des villes comme Madrid. En France, plusieurs voies réservées aux « VR2 + » (véhicules transportant au moins deux occupants, transports en commun, taxis, véhicules à très faibles émissions) ont déjà été mises en service à Lyon, Grenoble, Strasbourg, Bordeaux ou en région parisienne. Les plateformes multimodales doivent permettre aux usagers de passer d’un mode de transport à un autre de manière fluide.

Le parc multimodal de Longvilliers, aménagé par Vinci Autoroutes en région parisienne, fait figure d’exemple. Lignes de bus express connectées au RER, espaces de parking dédiés au covoiturage, bornes de recharge électrique, abri pour les vélos… Aucune forme de mobilité n’a été oubliée dans cette gare multimodale de nouvelle génération, située en un lieu stratégique pour les déplacements des habitants du sud des Yvelines. Le site accueille notamment cinq lignes de bus, dont deux lignes d’autocars express à haute fréquence desservant les gares RER de Massy et d’Orsay en 30 minutes, la première bénéficiant d’une voie dédiée sur l’A10. Selon les prévisions, cette plateforme doit permettre à ses utilisateurs de diminuer de 45 % les émissions de CO2 liées à leurs trajets quotidiens. Les aménagements ont nécessité 6 M€ d’investissement, financés à 100 % par Vinci Autoroutes.

À la recherche de solutions de financement

Au total, la transition écologique des mobilités exige donc des investissements massifs, à l’heure où les marges de manœuvre pour trouver des financements sont réduites et où une bonne partie de la population ne pourra pas assumer les coûts de cette transition – comme l’a montré notamment la crise des Gilets Jaunes. Pourtant, il y a urgence et les pouvoirs publics ne montrent aucun signe de prise de conscience. L’investissement sera-t-il partagé entre l’Etat, les collectivités territoriales et les grands opérateurs publics et privés ? Si oui, alors le contribuable sera sans aucun doute sollicité, via l’impôt et la dette publique, de même que l’usager, via les péages ; avec une répartition qui reste à définir.

Dans ce contexte, les autoroutes concédées peuvent devenir de véritables outils de la transition écologique : un système qui permettrait de faire peser le coût sur des entités privées et ne pas impacter le budget des Français, dans une logique d’utilisateur-payeur. Rappelons que le modèle de la concession permet à l’État de construire ou de moderniser une infrastructure sans délier les cordons de sa bourse ni assumer le moindre risque. Il délègue la conception, le financement, la construction, la maintenance et l’exploitation à un concessionnaire, en échange de quoi celui-ci obtient le droit de percevoir un péage pendant la durée du contrat. Péage dont les tarifs sont encadrés par l’Etat et dont 40 % reviennent in fine aux finances publiques via divers impôts et taxes. Au terme du contrat de concession, l’État récupère l’infrastructure, gratuitement et en bon état.

C’est ce système de concession « à la française » qui a permis à notre pays de disposer, sans recours aux budgets publics, de plus de 9.000 km d’autoroutes offrant un haut niveau de sécurité et de services. Comme l’a rappelé Jean-Baptiste Djebbari, l’ex-ministre des Transports, « entre 2006 et 2018, les sociétés concessionnaires d’autoroutes ont généré 50 milliards de recettes fiscales et ont investi 20 milliards d’euros dans le patrimoine autoroutier. Sans le modèle concessif, des dizaines de projets d’infrastructures au service des Français n’auraient pu voir le jour ». Un modèle qui repose sur une logique d’utilisateur-payeur : ce ne sont pas les contribuables qui financent les autoroutes, mais les usagers, y compris les touristes et les camions étrangers qui traversent notre pays.

L’une des solutions, pour décarboner les autoroutes en conciliant les enjeux d’investissements et de pouvoir d’achat, serait ainsi d’utiliser le péage : on pourrait par exemple décider de geler la hausse annuelle des tarifs de péage contre un allongement de la durée des concessions. Cela permettrait à la fois de réduire la facture pour les Français, et par ailleurs, d’inclure dans l’allongement des concessions le financement de la décarbonation. Une stratégie doublement efficace.