Quel rôle pour EDF, fleuron industriel français et vaisseau-amiral de l’énergie nucléaire en Europe ?
3 octobre 2023La relance et la restructuration de la filière nucléaire française et européenne, actées par les pouvoirs publics, doivent être menées par EDF, son incontestable chef de file, avec le souci de préserver la souveraineté industrielle et énergétique de la France et de l’Europe. Focus sur une entreprise et une filière qui reviennent de loin…
C’est quasiment un virage à 180 degrés. Après deux ou trois décennies de désinvestissements, de reports et d’abandons, la filière nucléaire a de nouveau le vent en poupe. Les crises climatique et énergétique sont en effet venues rappeler que grâce au nucléaire, l’électricité en France est à la fois décarbonée et l’une des moins chères au monde. Le contexte pousse ainsi à redécouvrir les vertus de l’énergie nucléaire : sa disponibilité (elle fournit de l’électricité à tout moment de la journée et de l’année, contrairement au solaire ou à l’éolien), sa compétitivité (grâce au nucléaire, le kWh en France est en moyenne 30 % moins cher que dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest), son respect du climat (l’électricité produite à partir du nucléaire émet très peu de CO2), sa sûreté (les centrales nucléaires françaises sont les installations industrielles les plus contrôlées et protégées au monde), et son rôle majeur dans l’indépendance énergétique de la France.
« Reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France »
Le développement de l’énergie nucléaire est ainsi l’un des trois axes – avec la sobriété énergétique et le développement des énergies renouvelables – fixés par le Chef de l’Etat pour sortir des énergies fossiles et atteindre la neutralité carbone en 2050. Adoptée le 16 mai par le Parlement, la loi du 22 juin 2023 traduit, sur le plan technique, l’ambition affichée par le Président de la République, le 10 février 2022, à Belfort, de relancer la filière nucléaire française. Le texte facilite les procédures pour accélérer la construction de six nouveaux réacteurs EPR2, prévus sur des sites nucléaires existants à l’horizon 2035, et lancer des études pour huit autres, tout en prolongeant la durée de vie des centrales existantes. Pour la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, il s’agit d’un texte majeur, qui donne l’opportunité à l’Hexagone de « produire une énergie indépendante, compétitive et décarbonée ».
Les études de RTE et de l’Agence internationale de l’énergie disent en effet clairement que si la France veut à la fois respecter ses engagements climatiques, réduire sa dépendance à l’étranger pour ses besoins énergétiques, assurer son développement industriel et maîtriser la facture énergétique des Français, elle ne peut pas faire l’impasse sur le nucléaire. Il s’agit donc, selon les mots d’Emmanuel Macron, de « reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France ».
EDF, chef de file d’une filière d’excellence
Il faut dire que la filière et son chef de file, EDF, reviennent de loin… Ouverture du marché de l’électricité à la concurrence, fermeture de Superphénix par Lionel Jospin en 1997, abandon de l’EPR de Penly en 2009 par Nicolas Sarkozy, baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2025, fermeture de Fessenheim (Haut-Rhin) sous la présidence de François Hollande… Depuis plus de vingt ans, le nucléaire n’avait pas bonne presse et a été délaissé par les politiques. Suite à la catastrophe de Fukushima en 2011, l’Allemagne a même fait le choix radical de tourner le dos au nucléaire… et paie aujourd’hui sa dépendance au gaz russe.
Il y a donc urgence aujourd’hui à repenser tout l’écosystème nucléaire, des PME aux grands groupes, pour relancer la filière sous le patronage d’EDF, entreprise publique qui reste, malgré les bâtons qu’on lui a mis depuis près de 30 ans dans les roues, la plus qualifiée en France et en Europe pour assurer la souveraineté énergétique et industrielle. Après le rapprochement avec Framatome, le groupe EDF, premier exploitant nucléaire mondial, apparaît en effet comme l’incontestable chef de file de cette filière industrielle stratégique. « Cette entreprise nationale de souveraineté qui est notre bien commun pourra compter sur le soutien de l’État », a promis Emmanuel Macron, demandant à EDF de « restructurer la filière » et de « consolider le nucléaire civil français ».
Tout l’écosystème nucléaire français derrière EDF espère un tel mouvement, comme Bertin Technologies, l’une des ETI de la filière nucléaire française, spécialisée dans la radioprotection et la mesure de la radioactivité : « La France, avec EDF en chef de file, fait partie des rares pays à maitriser l’ensemble de la chaine de valeur nucléaire, de l’extraction de l’uranium à la construction et l’exploitation des centrales nucléaires, en passant par la maintenance, la gestion des déchets nucléaires et les technologies de sécurité associées. Par ailleurs les technologies développées par la filière française sont les seules à n’avoir jamais eu d’accident majeur. Il faut croire dans le potentiel industriel et technologique français : seuls quatre autres pays, la Chine, la Russie, la Corée du Sud et les États-Unis, disposent de compétences similaires pour exploiter la seule énergie décarbonée susceptible pour l’instant de produire à hauteur des besoins », souligne Bruno Vallayer, président de Bertin Technologies. Sous le pilotage d’EDF, la filière réunit de grands groupes industriels français, des organismes publics de recherche, ainsi qu’un large tissu d’ETI et de PME-TPE spécialisées dont l’excellence est connue. Troisième filière industrielle stratégique après l’automobile et l’aéronautique, elle rassemble, selon les chiffres du ministère de l’Industrie, plus de 3.000 entreprises, dont plus de 85 % de TPE-PME et 53,3 % d’entreprises exportatrices. Elle génère plus de 220.000 emplois directs et indirects, qualifiés et non délocalisable, réalise un chiffre d’affaires de 47,5 milliards d’euros, et consacre près d’un milliard par an à la R&D.
Une question de souveraineté énergétique et industrielle
Durant cette période de doute, la France a aussi momentanément oublié que les technologies nucléaires sont des technologies de souveraineté. Elle a ainsi laissé certains pays s’emparer de technologies françaises, réalisant bien tardivement les risques que représente une dépendance technologique, par exemple pour la maintenance des centrales nucléaires. Le rachat en 2015 par le groupe américain General Electric (GE) d’Alstom Power, une entreprise stratégique française en charge notamment de produire et de maintenir les 58 turbines Arabelle qui font tourner nos centrales atomiques, illustre bien cette perte de souveraineté industrielle française. En 2016, GE a engagé un bras de fer avec EDF pour modifier le contrat d’entretien des turbines Arabelle, allant même jusqu’à suspendre, pendant quelques jours, le travail de ses équipes dans les centrales françaises. Plus discrètes mais tout aussi indispensables que les grands groupes, les PME sont également vulnérables, alerte Bertin Technologies : « La souveraineté française en matière de radioprotection et de mesure de radioactivité a été mise en difficulté ces dernières années avec le rachat par des fonds américains de sociétés françaises dépositaires d’un savoir-faire développé avec EDF et le CEA : le leader mondial dans le domaine de la radioprotection et de la mesure de la radioactivité est en effet une entreprise américaine qui a racheté récemment plusieurs sociétés d’excellence françaises, écrasant toute la concurrence », ajoute le président de Bertin, qui a eu la chance de retrouver son indépendance avec l’appui du FCDE, fonds d’investissement français.
Ces vulnérabilités restent portant inacceptables sur un sujet aussi stratégique : la France ne peut pas être en situation de dépendance vis-à-vis d’entreprises étrangères aux intérêts divergents. Aujourd’hui, le pouvoir français semble redécouvrir la nécessité de disposer d’une production énergétique souveraine, ce qui impose de garder la maîtrise de la production et de l’usage des technologies critiques. C’est une donnée cruciale à prendre en compte dans la restructuration de la filière, menée par EDF, en privilégiant, tout au long de la chaîne de valeur, les entreprises spécialisées françaises ou européennes. Car, comme le dit aujourd’hui Emmanuel Macron, « reprendre le contrôle de notre destin énergétique, ce n’est pas seulement ne plus dépendre des importations d’énergies fossiles, c’est aussi maîtriser en France les savoir-faire indispensables et disposer des éléments critiques pour la production d’énergie nucléaire. C’est asseoir la souveraineté énergétique sur une souveraineté industrielle ».
Face aux risques d’espionnage industriel et de prise de contrôle capitalistique, ainsi que pour pérenniser les outils industriels nationaux, l’avenir de cette filière repose sur la capacité à assurer sa souveraineté industrielle et technologique. Il s’agit aussi de refonder les connaissances techniques et l’organisation industrielle hors pair qui ont fait le succès du nucléaire tricolore. Or « un salarié sur deux qui travaillera dans la filière en 2030 n’y travaille pas aujourd’hui », rappelle Alain Tranzer, délégué général à la qualité industrielle et aux compétences nucléaires d’EDF. La filière, qui recrutait 5.000 collaborateurs par an entre 2019 et 2022, dont 2.500 chez EDF, prévoit d’en recruter 10.000 à 15.000 par an entre 2023 et 2030, dont 3.000 chez EDF. Elle devra donc relever aussi le défi majeur des compétences, de la formation et de l’attractivité.